jeudi 30 décembre 2010

(fin)

En arrivant devant le parc j’ai ressenti quelque chose de bizarre. Le vent faisait bouger doucement les feuilles des arbres et scintiller les éclats mouvants de lumière jaune orangée sur l’herbe entre les taches d’ombre claire, le vent frais mais agréable de la fin d’après-midi du début septembre, le soleil perçait, criard, devant moi, entre les branches, paysage intemporel qui, je le savais à l’instant, se gravait pour toujours au fond de ma mémoire, et notre appartement, que je pouvais voir sur la gauche, plus loin, qui m’attendait, et à l’intérieur Marie-Ève, mon amour Marie-Ève. Je me suis arrêté. J’ai posé les pieds sur l’asphalte, à côté du trottoir, et laissé mon vélo entre mes jambes pour m’appuyer légèrement des coudes sur les poignées de mon guidon. Je n’étais pas là. J’étais dans le futur, et devant le même parc; je n’avais plus d’âge et je n’avais plus rien, Marie-Ève n’était plus là, s’était évanouie de ma vie, l’appartement n’était plus habité par moi, et le même parc de fin d’été, où nous allions nous bercer des couchers de soleil tranquilles, m’observait le regarder sans être là, sans rien déranger, sans plus jamais que personne ne puisse le voir de cette façon de nulle part et depuis ses origines. Je n’avais plus rien, j’allais tout perdre, être oublié, renié par Marie-Ève demain, j’allais ne plus rien être et jamais n’avoir eu rien, disparaître, et avec moi ma vie, mon passé, mais mes souvenirs vivraient tant que j’étais, et si je n’étais plus rien, j’allais toujours avoir eu Marie-Ève qui m’aimait, ce parc, ce vent, ces arbres et cette vie. Même finie. Cette vie, ce moment fini, cet amour que je chéris mal et détruis, ne pourra jamais s’enfuir, se perdre et m’avoir trahi.



Cette nuit, il y a eu un genre de monstre, une espèce de – au début c’était comme un enfant, blond je dirais même, c’était assez flou et je ne m’attendais à rien juste avant; puis très vite c’est devenu méchant en changeant d’apparence, là c’était comme un nain, vraiment laid, l’air sale, de puer aussi, un Grincheux abominable parce que vivant, en chair et en coulisses graisseuses. Même taille – mais plus large, et plus fort – et même âge mental, ça me frappait, c’était simplement l’enfant qui s’était transformé en nain tricentenaire en criant FUCK YOU ostie. Et il avait un long couteau, lourd, sale, pointu, presque un pied de la garde à la pointe. Il avait un seul but, on dirait, une seule idée en tête : me faire des trous dans le corps avec, à la bonne franquette. À moi. J’étais son ennemi numéro un par défaut. Faut croire. D’une manière ou d’une autre, je n’ai pas été blessé sérieusement et quand, tout à coup, la violence a grimpé d’un cran sans prévenir, en même temps ma main s’est posée sur sa tête, comme on tient sans effort à distance un enfant qui veut se battre pour jouer d’une simple pression légère sur le dessus du front, en exploitant la faiblesse du cou, et dès lors je fus sauf. Aucune idée de quelle main fait quoi mais j’en ai toujours une de libre pour tout ce que j’ai à faire pendant que l’autre, dans mon dos, tient le nain assez loin, qui n’apparaît même plus dans mon champ de vision, et ensuite je me rends compte que, parfois, souvent même, en tout cas de plus en plus, j’ai mes deux bras, disponibles normalement, j’hésite une seconde avant de me rassurer – en fait je ne m’inquiète même plus : j’ai, on dirait, un troisième bras, insensible et automatique, derrière moi, qui me libère.



La mère de mon père, Anne-Marie, fille d’immigrants tout juste arrivés du Nouveau-Brunswick, a épousé Achille, mécanicien automobile, à Laval-des-Rapides – Achille, comme le héros grec, excepté que lui n’est pas mort d’une flèche au talon mais d’une lame de poignard au cœur dans une bataille à la sortie d’un bar, quand j’avais un an.


Sur le Plateau-Mont-Royal de Tremblay, Maurice, plombier, a marié Ginette, mère de ma mère, qui pour arrondir les mois faisait des ménages partout en ville.


Anne-Marie et Achille ont eu sept enfants : deux fils aînés, suivis de quatre filles et d’un autre fils. Luc, électricien, qui a beaucoup gagné pendant les belles années de la construction au Québec puis à peu près tout perdu en dépenses, a épousé une petite femme fragile qui s’est révélée atteinte sévèrement de schizophrénie; ils ont eu deux filles, Christiane et Carine, élevées à Mascouche, qui sont tombées enceintes et ont maintenant deux enfants chacune, pour l’aînée d’un jeune au père violent et qui se trouve aujourd’hui en prison. Après Luc vint mon père, puis l’aînée des filles, Léanne, qui a marié un homme travaillant, héritier, à Rigaud, de la ferme laitière familiale, de qui elle a eu quatre enfants : Mélanie et Vivianne, les plus vieilles, aujourd’hui respectivement technicienne de laboratoire et éducatrice spécialisée, toutes deux jeunes mères, puis Charles, qui reprendra peut-être la ferme, et Mathieu. Andrée s’est mariée sur le tard avec un employé du gouvernement; ils élèvent leur fille unique à Terrebonne. Rachel, pétillante, qui m’a souvent gardé quand j’étais petit, a épousé un menuisier de La Plaine et a eu trois enfants : Isabelle, encore étudiante, puis Daniel, dont la schizophrénie latente, déclenchée par les substances psychoactives, vient de se déclarer, et Nadia. Diane, ma marraine, a marié un anglophone québécisé, débosseleur, maintenant victime de la sclérose en plaques, et en a eu trois fils en succession rapide : Étienne, dont je suis le parrain, guitariste amateur, apathique et décrocheur comme moi, Cédric et le petit Yan. Ils vivent à La Plaine tout près de chez Anne-Marie. Diane, avec Madeleine, sa cousine, prend soin de ma grand-mère vieillissante. Yvan, le plus jeune de ses enfants, resté célibataire, n’a jamais quitté la maison. C’est lui qui m’a montré, ainsi qu’à Étienne, à jouer de la guitare. Dans les années 70, il a fait partie d’un groupe qui a failli percer.


Maurice, dont le souvenir est douloureux du côté de ma mère pour cause d’inceste répété, est mort à la Cité de la santé de Laval des suites d’un accident vasculaire cérébral quand j’avais huit ans et que nous habitions une tranquille banlieue de Québec. Ginette en a eu quatre enfants. Michel, l’aîné, entraîné par Maurice, a récolté les trophées dans le hockey junior avant d’être exclu de justesse de la formation des Nordiques, qui l’avaient repêché. Il a poursuivi une carrière dans la Ligue américaine puis en Suisse comme joueur-entraîneur. Avec sa femme, douce, qui m’a prêté mon premier Stephen King, événement marquant, il a eu deux filles, mes seules cousines de ce côté : Valérie, psychoéducatrice, qui a eu deux enfants avec son amoureux de longue date, plongeur médaillé recyclé dans la construction, et Vivianne – j’ai deux cousines appelées Vivianne – coiffeuse, mariée jeune à un Italo-montréalais de St-Léonard. Après ma mère viennent Marco, médecin immunologue et toxicologue, spécialiste international du traitement du VIH-SIDA, qui vit depuis un quart de siècle à Westmount avec son conjoint Brian, actuaire, et la plus jeune de mes tantes, Marion, travailleuse sociale, qui ne s’est jamais mariée et a vécu longtemps chez sa mère puis à Salaberry-de-Valleyfield, à Longueuil et habite maintenant Boucherville où elle vient de s’acheter une nouvelle maison avec son premier vrai fiancé.


Un de mes frères fait de la recherche en réduction de la consommation d’énergie dans un environnement technologique. L’autre est massothérapeute et enseignant; il suit régulièrement des cours pour améliorer ses méthodes.


Et moi?



Moi,


J’arrête sur la rouge à l’intersection d’un boulevard achalandé. J’ai grimpé la côte sur une grosse vitesse, comme toujours, sans décoller le cul du siège. Je ne bouge pas. Je tiens en équilibre sur les deux contacts au sol que font mes roues, mes deux pieds sur les pédales, tous les muscles de mon corps tendus, et l’expression sur mon visage, sous mon casque noir, rictus pour les uns mais ils se trompent, sourire pour les autres qui se trompent aussi, n’en est pas une. Je suis une bombe à retardement. Une bombe de quoi? Je le saurai.



Je m’en venais. Ça arrivait. J’étais trop loin. Je me suis.
















Greet what!













THE SHIP Psyclone Farm (1997)

(01)Bus Full of Life and Death (02)Voyage to the Stars (03)Glamour Geese (04)Gateway Getaway (05)A Rest in Drylands, pt. IStill Roaming in My Darkness (06)A Rest

in Drylands, pt. II Emergence [instr.] (07)Psyclone Farm

Changing Times Made My Mind

(08)Festina Lente Drakul (09)L’Amour (10)L’Amour

Found (11)Callisto [instr.] (12)Entering Io








THE SHIP Choking Hazard (1997)

(01)Condolences for Your Own Death (02)Lettuce’s

Way (03)Destroyers [instr.] (04)Annoyers (05)Brothers (06)Monk:

Resolution (07)(When to) Start Over

(08)Lonesome Cowboys (09)Deservation (10)Diaper (11)Looking by

the Eyes of the Sage (12)Choking Hazard (13)Hell Tunnel








THE SHIP Dawn Soother (1998)

(01)Why Can’t You Live? (02)Older (03)My Few Nightscapes (04)Recorded

Mess Age (05)Luxury Plush (06)Purple King (07)Steel Wool

(08)Bulldoser (09)A Bug (10)T (11)Angel (12)Cole Slaw (13)How Can

You Live? (14)Close the Book








THE SHIP Scarce Light Music (1998)

(01)Cry of the Beast (02)Fun Key (03)Fighting Song (04)Electric

Castle (05)Ether Twist (06)Auto Path Signal (07)Tar

Choice (08)Umherziehen (09)Killingship / Panic

Wind (10)Get Up Yellow Sun

(11)Jab (12)I’m Heading for Your House (13)Coldland (14)Dies

in Pain (15)Witness Eye / Poison Cure (16)Hayfire (17)Fire

Works (18)Weather by My Weatherby (19)God Says

I’m a Soybean (20)Winter Boy (21)The Wrists of

Tide [instr.] (22)Run Free (A Rest in Drylands, pt. III)








THE SHIP (s/t) (1999)

(01)Where the Fault Is Sex Is (02)Steve Thompson (03)I’ve Been Seeking

for You (04)I Will Help… (05)…the Poor, the Bad

and the Ridiculous* (06)2 Days

(07)I’m Back (08)The Lam Rim (bring back home; silent voices; move;

the wicky bay moonsters) (09)Do It Right (10)Sunrises on France

[ * Intègre une reprise de Nirvana, « Endless, Nameless » (Cobain). ]








THE SHIP/DINSX EJOTY En échappée (2001)

(01)Thinking about You So (02)Marzo [instr.] (03)Young Mother / Comment

ça va [instr.] (04)Dream Chicken [instr.] (05)Arguments [instr.] (06)A

Soundtrack to My Nightmare [instr.]

(07)Longing for the Night (in September) [instr.] (08)Dying for Sunshine

(in January) [instr.] (09)Breach [instr.] (10)Une mole de salauds de

l’espace […] viennent pour faire la paix [instr.] (11)Valles

Marineris [instr.] (12)En échappée [instr.]








THE SHIP II (2002)

(01)Act of Fate (02)Helpless (03)The Art of Napping (04)Blue or Green (05)Jock

You Spoiled Your Wife (06)In the Atmosphere of Mars (07)Les Petits

(08)Wrong Information1 (09)Orange Underwear [instr.] (10)For Myself (11)Don’t

Understand Have to (12)Neverending Song

(13)1 of 1 (14)Chaos Byrne (15)Choose Me (16)Cooking

for Someone Else (17)Marry Him

(18)Olympe de Gouges* (19)One Lovely Crazy Fucker (20)Coldened

Hands (21)Le Rire de Sylphir* (22)Never Known

[ 1 Progression d’accords et idée générale originaux de Claude Gendron. * Paroles en français. ]








THE SHIP Together (2002)

(01)Summer Cut (02)Find My Place (03)Gather up (04)Benefit (05)Together

(06)Disperse (07)Stop It (08)Undedicated (09)Together ii (10)Rainy Summer Day








THE SHIP The Hardest Edgers (2003)

(01)Clip This (02)Ban That (03)Culture of Hate (04)Evolution (05)Too Eager

(06)I Will Drop Dead (07)Impossible Love (08)Lost in Verdun (09)Who

I Am (10)I Will Stand by You and Never Say a Word [instr.]








THE SHIP Three (2004)

(01)Pus rien* (02)Aimer encore* (03)Curing Everybody’s Cold Feet [instr.] (04)Song

for Maryam (05)Other Spring (06)New Presence

(07)Wound (08)Total Failure (09)Umpteenth Chances (10)You Were

Loving Frankenstein (11)End of the Road (12)Sane for Me

[ * Paroles en français. ]








S. RANGER /THE SHIP Extra French e.p. (2007)

(01)Elle tient à moi (02)Bozo (03)Un homme (04)Maple Hedge* (05)

où j’allais (06)Je suis le ciel (07)Monde idéal

[ * Paroles en anglais. ]











*











La construction des albums Choking Hazard et Scarce Light Music est postérieure à l’année indiquée, qui est celle où la dernière chanson incluse a été composée. En effet, l’album Dawn Soother, troisième dans l’ordre de la conception, très vite écrit dans un élan d’inspiration, était « terminé » avant CH, et l’organisation finale de SLM est contemporaine de celle du deuxième album éponyme.


C. G.




Montréal, janvier 2009

Rawdon, 11 août 2010



























Un écrivain en devenir, qui tente encore de pouvoir et qui doute, et qui fait de la peine à sa mère, et qui se bat contre le reste du monde, ça ne tient pas debout tout seul. Si vous avez dans les mains ce livre étrange et pouvez croire que ce n’est pas mon dernier, et même que le meilleur, quoi que ça veuille dire, est toujours à venir, c’est d’abord grâce à Guillaume Cloutier, Rachel Sansregret et Maxime Raymond, sans qui mon premier livre même n’aurait sans doute jamais paru, puis à mon parrain littéraire Christian Mistral et à Louis Hamelin qui me tolère, de l’existence desquels je n’ai pas de mots pour remercier le très grand sein du ciel.


Je tiens à remercier tout particulièrement Catherine Mavrikakis pour ses encouragements soutenus, à travers tout, non seulement dans mon écriture, elle qui m’a vu « accoucher » de moi-même comme auteur et y a cru dès le début, puis dans mon travail (hum!) académique, mais aussi et surtout en tant qu’amie. En fait, je n’arrive pas à trouver une façon correcte d’exprimer ici la profonde gratitude que j’éprouve pour l’existence même de Catherine. Tout est vrai chez elle – telle que je la connais, du moins. Je suis un acteur, un manipulateur, un extravagant; à elle, je n’ai jamais menti. Il me semble qu’elle a cette faculté rare, puissante et précieuse de désintégrer systématiquement et sans effort apparent (mais l’effort y est, intense) le fla-fla autour d’elle, la formalité, la diplomatie, la bienséance castratrice, la parole blanche qui coupe et interdit la noire et l’empêche d’être purgée. J’entre dans son bureau : Alors, comment tu vas? Et ce que j’ai de possible carapace est annihilé. Je lui dis comment je vais, moi qui ne suis que l’un des très nombreux étudiants qu’elle dirige, elle dont le travail de direction de projets de mémoires et de thèses universitaires ne représente encore qu’une faible partie de tout ce qu’elle accomplit, et je lui parle et elle m’écoute et me relance comme si elle m’avait vu grandir. Si elle accorde son attention, elle accorde toute son attention (et elle accorde presque sans arrêt son attention!) : j’en suis tellement impressionné que cette qualité seule suffit au respect au-delà du respect que je lui porte. Trois questions, quatre, et je suis là, mon sac grand ouvert, tout déballé, aux fins mots du fin fond de tout le triste tas de problèmes et avec la douleur et avec la témérité nécessaire et l’énorme doute flambant nu qui résonne. Un peu d’absence réelle d’espoir, oui, mais pas vraiment d’horreur et pas tellement même de drame… Ma réponse faite, je relève les yeux, me ramène la tête, rencontre à nouveau son visage, qui s’est tourné vers la fenêtre, et elle est en train de pleurer doucement. Catherine, je t’aime, tu es une sainte, je n’oublierai jamais ces larmes.


Enfin, j’ai trop mal été pour faire ici la liste de toutes les personnes que je remercie sincèrement et auxquelles, même, pour certaines, je dois d’être toujours en vie.

Ces personnes-là se connaissent.

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