jeudi 30 décembre 2010

(suite 3)

Quand est-ce que tu vas finir mon histoire?


J’étais assis avec Marie-Ève sur un banc le long du sentier sur le flanc nord-est du mont Royal. Nos vélos à côté, perlés de gouttelettes fines par la bruine légère, presque invisible, de cette fin de matinée de la mi-octobre.

J’avais commencé une nouvelle, un texte, dont elle était le personnage central. Une tentative. C’était très bon, à ce moment-là, j’étais surpris et je le savourais sans rien faire depuis deux semaines, avec une peur de continuer. Je lui avais fait lire ça, pendant que j’en étais au tiers, à peu près, et que je ne savais pas où ça s’en allait. J’avais commis cette erreur.


Quand est-ce?

Je sais pas… Mais bientôt!


J’aurais pu mentir en disant que j’allais la finir au plus vite. J’aurais pu mentir en disant que je n’allais jamais la finir.


Je vais la finir…


J’ai menti. Elle était contente, un peu. Mais peut-être que ce mensonge va se transformer en vérité. J’ai encore le texte, et je n’ai pas renoncé à le terminer.


Pourquoi tu m’écris pas des petits mots avec ton talent, des fois? T’écris plein de belles choses, souvent, mais pas à moi. Tu pourrais m’écrire des super beaux petits mots, des super belles lettres!

Ah! Je t’en écris...

Oui mais pas comme tu sais le faire…


C’est l’heure.


Je peux pas faire ça… T’sais, quand j’écris comme je sais le faire, c’est des artifices, je peux pas ne pas en avoir conscience. J’écris pour des lecteurs inconnus avec des artifices, je m’écris à moi. À toi, c’est pas pareil. Ça marche pas. Quand j’écris pour vrai, j’ai pas de talent.

Mais, quand on lit, on s’en rend pas compte, des artifices.

Quand même, y en a toujours. Souvent, aussi, je mets des bouts sans aucun artifice, dans mes textes, mais même ça, faire ça, c’est de l’artifice. Tu comprends?

Oui mais t’es capable d’écrire pour qu’on puisse pas s’apercevoir comme ça quand y a un truc.

Je le sais. Ça aussi, c’est travaillé; c’est de l’artifice.

Mais, quand on peut pas savoir quand c’est vrai ou quand c’est un truc, ça s’annule!

Tu comprends pas… je peux pas faire ça. Parce que, moi, quand je le fais, je le sais que c’est un truc. Je peux pas écrire en sachant que je fais de la littérature quand j’ai le goût que ça soit vrai.

J’aimerais ça quand même.


Maudit romantisme des fucking femmes.


Tu comprends pas.

J’aimerais ça quand même. C’est ça que toi, tu comprends pas.

Je peux pas. Arrête!

Tu l’as fait avec tes ex que t’as mises dans tes histoires. T’as écrit des super belles affaires avec tes ex dedans. Tu pourrais le faire pour moi.

Non. Mes ex, c’est fini, c’est plus rien. C’est du passé, c’est dans ma mémoire – faussé; des histoires. Ça devient de la matière à artifice que j’utilise pour me soulager, si je peux. C’est dégueulasse. Je le fais pour moi quand même. Mais avec toi, c’est le présent, c’est la réalité, c’est de valeur : je peux pas me faire ça parce que je le ferais aussi à toi à travers le fait que je me le fasse à moi.

Quand même, j’aimerais ça.

Je vais la finir, ton histoire. T’es dedans, quand même! C’est assez vrai, aussi, me semble?

Ouais, c’est vrai.

Je m’en sers, de mon talent, pour te faire plaisir, en plus, ça arrive! Sois pas injuste.

C’est vrai.

Mais tu peux pas me le demander, tu comprends? Tu peux pas t’y attendre. C’est ça qui ruine tout. Le talent, ça peut jamais rien prouver, peu importe la grandeur, la perfection; le talent, ça crée jamais de vérité – au contraire. Si je t’écris des mots pleins de grandiloquence d’artiste parce que tu m’en as demandés, c’est quoi, finalement, un cirque? Ça t’impressionnerait? Faire tourner des ballons sur son nez, est-ce que ça l’impressionne, le phoque en Alaska? Y a pourtant rien de plus beau que la seule vérité simple de quand je fais juste t’écrire « je t’aime », par exemple.

Oh! Dis-le encore!

Je t’aime, Marie-Ève.

Oh!


Encore!

Marie-Ève.

Oui! Dis-moi-le encore!

Marie-Ève.


Dis-le!

Marie-Ève.

Dis-le!


Je t’aime.



Freaky fuck!



Vas-y, dis-le, que ton père a payé toutes tes études avant que tu lâches, Calixte, après avoir été absent de toute ton enfance à faire des heures supplémentaires, et ensuite à rénover ta maison au complet, p’is que ta mère était une ostie de folle avant de crever comme une conne!


Heil… –


Dis-le donc, que t’as été un enfant qui bégayait à trois ans déjà, quand t’apprenais encore à parler, terrifié que la chienne se mette encore à japper!

T’sais, t’as tout eu, dans ’vie, sauf les moyens de t’en sortir; maintenant qu’i’ faut que tu nages, tu sais pas comment, ni par où commencer, p’is t’as des poids de vingt livres aux pieds.

Mais ma mère, c’était parce qu’ était pas bien…

Moi, mon père, c’est un ostie de pas d’allure. J’t’ai-tu déjà raconté la fois du parking, à Québec? Ostie qu’i’ m’a fait honte.

Non, je pense pas…

Tu penses pas quoi, Calixte?

Ben…

Caaaaaal-vaire! Mon père, i’ fait du diabète, quand i’ est en manque de sucre i’ pète sa coche, mais ça ’i donne rien qu’une raison pour pas se contrôler. Fa’ qu’on est dans le parking des Galeries de la Capitale, à Québec, on cherche une place pour se stationner, p’is là mon père se met à tourner dan’es allées comme un ostie de malade, i’ accélère entre les rangées en essayant de spotter les clients qui marchent pour savoir où c’qu’i’ s’en vont pour trouver la place la plus proche qui va se libérer, pis là, de loin, i’ voit une femme qui venait juste porter des sacs dans sa valise de char p’is qui s’en retourne dans le centre d’achats, i’ baisse sa vitre sans arrêter de peser su’ l’ gaz, i’ s’étire le cou par la fenêtre, pis, pendant tout ce temps-là, il sait que je le sais qu’i’ m’fait son show p’is i’ s’en câlice, p’is même i’ trouve ça drôle, le crisse, i’ me regarde du coin de l’œil p’is moi je l’ watch en riant, t’sais, come on, p’is là i’ gueule de toutes ses forces après ’a femme, par-dessus toutes les rangées de chars : OSTIE D’ CHIENNE!


Sacrament!



Je n’ai pas mis trop de temps à comprendre Alejandro quand il m’a demandé son chemin sur la place Jacques-Cartier, il faut dire. C’était un début d’après-midi assez chaud de la mi-mai. J’étais venu à vélo en errant sans but depuis l’appartement près du pont Jacques-Cartier – pour dessoûler de la veille au soleil. Il venait d’Espagne et parlait avec un accent exagéré, ou presque. Là encore, je ne comprenais pas trop bien. Il aurait pu me demander si j’étais à la recherche du Nouveau-Monde et j’aurais ri. Il a voulu savoir comment se rendre au Village et j’étais dans la brume. Je portais un t-shirt rouge délavé trop grand avec mon short en coton turquoise, rescapé de l’uniforme pour l’éducation physique de mon école secondaire privée, qui m’arrivait à mi-cuisse. Je devais avoir une paire de fesses à peine croyable. Je lui ai dit que c’était aussi ma destination et me suis retrouvé dans un Presse Café aux couleurs de l’arc-en-ciel la main sur son genou sous sa grosse main chaude à repousser lâchement son idée de l’accompagner au sauna le plus proche. Au sauna, dans une chambre, il m’a tiré vers lui sur le lit pour m’asseoir un moment contre son torse musclé en me susurrant des paroles relaxantes puis m’a déshabillé en retirant son chandail, s’est agenouillé en soutenant ma tête et ma nuque et m’a présenté son énorme gland que j’ai pris dans ma bouche en silence après l’avoir léché un peu. Il m’a caressé l’anus du bout de la langue pendant que j’étais à quatre pattes devant lui puis m’a pénétré un peu brutalement, sans condom. Quand il a râlé j’ai fait de même par mimétisme et me suis confirmé que c’était bon. J’étais assis sur lui, ses couilles entre mes fesses, quand il a longuement joui, ma bouche sur son mamelon gauche, sa main droite sur mon oreille, ses doigts dans mes cheveux. Devant l’entrée de la station de métro Papineau, je lui ai dit que, finalement, je n’aimais pas ça. Il m’a semblé comprendre le mensonge et désolé. Il m’avait baisé une deuxième fois et ça m’avait fait un peu mal mais il avait été doux et s’était arrêté. J’ai quand même pris son numéro de téléphone. Ou… non? Je pense que j’ai fait ça, que je suis allé jusqu’à lui donner le mien. Après ça, dans la rue, sur Ste-Catherine, dans le quartier, tous les hommes voulaient m’offrir à boire.



J’ai un peu trop, presque trop envie de vomir pour qu’il reste assis comme ça sur moi mais Carlson n’en fait pas de cas, comme toujours, mais s’en amuse, je le sais, et prend note pour savoir jusqu’où il peut aller.


Tu


acceptes


de t’en remettre à moi.


Calixte!


Ses cuisses m’enserrent le thorax et l’écrasent, ses jambes tiennent mes bras immobiles de chaque côté de mon corps, son rictus dément penché sur moi se détache du ciel étoilé sous un quartier de lune et mêle son haleine éthylique à la mienne, lui par profondes bouffées et moi saccadé, râlant de sa main qui m’étreint solidement la gorge mais juste assez, et je sens les brins d’herbe hérissés froids qui me piquent dans le cou.


C’est MOUA


le plus


PUISSANT


Calixte!


et j’acquiesce, je sais qu’il ne me tuera pas et l’ennui me prend maintenant qu’il m’a dit ce qu’il veut – encore, comme les autres fois,


L’acceptes-tu!


et j’acquiesce, feignant, solennel.



Quand on passe des nuits entières sur un substitut de la cocaïne comme le speed à consulter des sites Internet pornographiques, où la concurrence est sauvage, l’imagination, furieuse et les moyens, cauchemardesques, on devient un habitué de quelques adresses et, si l’expérience dure, au fil des mois on apprend à reconnaître les filles, choisissant ses préférées, même si leurs noms changent sans cesse, et on peut remarquer infailliblement la dégradation progressive de leur état mental et physique apparent.

On reconnaît facilement les Européennes de l’Est, très jeunes et à l’air le plus innocent possible, déniaisées fébrilement, rapidement, sans même de douceur feinte ni d’ébauche de scénario, dans des faux décors de chambre à coucher aux couleurs pastel et toutous assortis, des salons parfois, des cuisines montées sur un plateau dans un studio d’où on a l’impression qu’elles ne sortent jamais. Ils arrivent quand même à les faire sourire et mimer le plaisir, un peu. Les pénis hideux, pâles, grands et gras qui leur sont enfoncés de touts bords, touts côtés sont toujours les mêmes, et l’apathie de leurs possesseurs, idoine. À l’occasion, une nouvelle fille apparaît, l’air de quinze ans et ce n’est pas long qu’on puisse la retrouver sur tous les sites, dans les sections « teens », à se faire fourrer comme une peluche. Les instantanés promotionnels nous les montrent coquines, les filles, mais en visionnement, l’arrêt sur image au plus profond d’une ardente sodomie révèle immanquablement l’expression de douleurs non fictives.

Les plateaux de tournage étatsuniens qui semblent plutôt appartenir aux producteurs sont d’immenses villas californiennes, pour beaucoup, et les actrices aux longues jambes, larges hanches et volumineuse poitrine sont des professionnelles qu’apparemment on paie cher et qui, pour celles qui durent, savent dresser leurs limites, aussi lointaines soient-elles, et se protéger relativement bien. Mais au sud de la frontière prolifèrent aussi les réseaux moins scrupuleux qui alimentent le Web en gang-bangs de petites Blanches par des Noirs musclés, vicieux et monstrueusement pourvus par la nature. Et plus on descend dans la qualité, dont l’absence perce à coup sûr l’écran, plus les filles ont l’air perdues, droguées, et manifestement prisonnières. Leurs bourreaux joviaux parés de bijoux, qui les assaillent à la demi-douzaine sur des divans dans des pièces à la propreté douteuse, leur passent même l’expression très claire de leur mépris, colère ou haine, parfois, pour les catastropher ensuite, tout de suite, avec des redoublements d’entrain. La méthode est devenue classique.

Kelly Wells, au début, posait seulement – dans les mêmes décors crasseux. Belle jeune femme aux cheveux châtain clairs et courbes tentantes, elle souriait timidement pour la caméra en se contorsionnant docilement, vêtue d’une lingerie bien ordinaire composée, probablement, de ses propres sous-vêtements dans la vraie vie qu’elle quittait sans le savoir. Le groupe qui l’avait recrutée, sans doute, ne lui avait pas tout dit de ses intentions.

Au fil du temps, les tournages l’impliquant sont devenus, dans l’ordre, de plus en plus irrespectueux, carrément louches et violents. Kelly Wells qui vomit après throat-fuck sur throat-fuck, qui mange des claques en pleine face, qui se fait plier en deux, les genoux derrière la tête, et grimace de façon non-équivoque, les joues ruisselantes des traces noires de son maquillage et les yeux rougis et vitreux, sa diction pâteuse et ses gestes, désorganisés, ivres, pendant qu’un pénis de dix pouces, large comme un gros manche de pelle, s’enfonce dans son rectum jusqu’aux couilles et que trois autres Blacks la tiennent en l’air, hilares.


My freaking gode, pensai-je, elle va crever d’une rupture interne, en jouissant, des poches sous les yeux, en jouissant sans arrêt comme une bête, incrusté devant mon clavier.



MOUA HA HA

Quoi?

J’ai fini Le Retour du roi.

Cool

Je l’ai fini la semaine passée, p’is là j’t’entrain de lire Le Silmarillion, eh!

Ça finit-tu bien, à la fin, fin?

Calixte… Tu verras b’en!

Ouin.

De toute façon, c’pas ça l’important. T’achèves-tu?

Ouin. Pas loin.


B’en ouin! ça finit b’en! ostie!

Oké. Cool

Jôn Rôalde, ostie, c’tait un larmoyant, ça, crisse. Mais c’est quand même que’que chose, toute son univers qu’i’ a créé, pour sa Terre du Milieu. Dans Le Silmarillion, i’ raconte toute l’histoire depuis le début, ça ressemble à la Genèse, avec la création de l’univers par les anges avec leur dieu le Père.

Ah ouin?

Ouin. Melkor, appelé à l’origine Morgoth, celui qui a engendré Sauron, à la base, c’est un des anges du Créateur qui ont donné naissance à l’univers par le chant, un chant dirigé par Erú, le dieu suprême, qui définit toute l’histoire du monde : passé, présent et futur.

Cool

Mais Morgoth, lui, ça faisait pas son affaire, de chanter en chœur un beau monde parfait avec les autres, comme un p’tit enfant docile! I’ s’est révolté, i’ a commencé à chanter sa propre composition, p’is ça a introduit des discordances dans toute la grosse harmonie divine. P’is c’est ça, dans le fond, qui a amené ce qu’on considère comme le mal. Le mal, Calixte, c’est juste c’qui rentre pas dans les plans du Seigneur, juste parce que c’est différent.

Ayoye.

Ouin. P’is là, b’en, évidemment, Erú p’is les autres anges se sont fâchés après Morgoth, p’is lui i’ a jamais accepté de se soumettre, fa’que i’ ont tout fait pour essayer de l’empêcher de vivre, ostie, p’is ça a donné ce que ça a donné, calvaire.





Freak that funky fucking shit out!



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