jeudi 30 décembre 2010

(suite 5)

Mais papa, pourquoi que, à la fin là, dans Le Seigneur des anneaux, ben, quand que l’anneau est détruit, p’is que la tour avec l’œil tombe, là, ben, toutes les armées des méchants sont détruites?


Hum, ça, c’est parce que Sauron, longtemps avant la bataille qu’on voit au début du premier film, quand son doigt qui porte l’anneau se fait couper, avait mis presque toute sa force dans l’anneau pour piéger les peuples. C’est avec la force dans l’anneau aussi que les Orcs avaient été créés. Quand l’anneau est détruit, c’est comme si toute la puissance de Sauron était évaporée : son royaume au complet s’effondre en miettes.


D’où qu’i’ venait, Sauron?


Dans l’histoire du Seigneur des anneaux, Sauron c’est une sorte d’ange, comme Gandalf. Comme Saruman, aussi. Des sortes d’anges qui peuvent prendre une forme humaine sur la terre. Mais y a des anges plus forts, qu’on voit pas dans les films, qui existent depuis la création du monde – en fait, qui ont eux-mêmes créé le monde au début avec leur père, le vrai grand dieu.


Ah… Mais, pourquoi que Sauron, lui, c’t’un méchant?


C’est parce que Sauron a été corrompu par un de ces grands anges puissants-là, qui était méchant : Morgoth, ou Melkor.


Mais son père c’était quand même le dieu?


Oui. En fait, Melkor, c’est comme Satan dans la Bible. Dans la vieille mythologie qui est à la base de la religion des juifs, des chrétiens p’is des musulmans, je pense, Satan c’est un ange de Dieu qui s’est révolté parce qu’i’ refusait d’être juste un ange de Dieu comme les autres, au lieu d’un vrai dieu puissant, unique, comme son père. Tolkien, celui qui a écrit Le Seigneur des anneaux, s’est inspiré de cette mythologie-là. Melkor s’est fait exclure de la communauté des autres grands anges parce qu’i’ voulait tout faire à sa manière, sans écouter personne. À une certaine époque, dans le monde du Seigneur des anneaux, le dieu suprême a décidé d’empêcher les grands anges de pouvoir descendre sur la terre, sauf que les grands anges avaient encore la possibilité d’envoyer des anges spéciaux, moins forts, comme Gandalf, comme Sauron.


Ah… Mais, ça veut dire que, à la fin, quand l’anneau est détruit, les méchants p’is Sauron sont morts pour tout le temps?


En fait, ce qui arrive, c’est que la puissance de Sauron, vu qu’il l’avait toute mise dans l’anneau de lui-même, sa puissance pourra p’us jamais être rassemblée : toute la puissance du mal se retrouve dispersée dans le monde, comme de la poussière…


Ah…


Ouais… Comme aujourd’hui. T’sais, dans l’histoire de Tolkien, tout ça, ça s’est passé dans le monde réel, v’là très très longtemps. Ça pourrait quasiment être vrai : tout le mal, sur la terre, depuis toujours, est dispersé partout, comme de la poussière. Mais Sauron a jamais existé. Le mal pur a jamais existé. Sauf que, sur la Terre, le mal, la souffrance humaine, les massacres, ça arrête jamais. Dans la réalité, y a jamais de victoire totale comme celle contre Sauron. Les alliés arrêtent les nazis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, p’is après, les armées vont massacrer d’autre monde ailleurs. Le mal est nulle part identifiable, personnifiable, parce que tous les humains sont des humains comme tout le monde, les Orcs existent pas, mais partout, pour tout le monde, y a la possibilité de faire du mal, y a la possibilité de choisir le mal, de croire en le mal.



À tout prendre, heureusement que la mort existe.


J’ai 30 ans.

Je suis en autobus avec Marie-Ève, de retour de chez sa mère, mais je ne suis pas là, je regarde par les fenêtres de ce grand cercueil qui gronde comme une salle de cinéma, toutes les fenêtres sont des écrans qui diffusent chacun sa part d’un seul et même film en trois dimensions. Le contemporain n’existe plus. Rue Jarry, de Ville d’Anjou jusqu’à Villeray en passant par Saint-Léonard et Saint-Michel, paysage urbain délabré, désolé.

Imagine : l’an 2100.

Quel sera l’état des lieux?

La nature, l’environnement biologique, sera en très piteux état.

Peut-être y aura-t-il eu la guerre civile

immeubles effrités, troués

plus d’électricité, peut-être…

En tout cas, des problèmes que je ne peux même pas concevoir.

Ce ne sera plus mon univers – une version bizarre, travestie, comme si j’avais commencé à travailler sur l’écriture d’une pièce de théâtre avec un groupe d’auteurs, y ayant joint ma part d’idées, la plupart seulement des détails, mais quand même une ou deux principales au sens du récit, et puis que j’avais dû m’absenter pour maladie, quelques jours, j’étais revenu, ils avaient terminé sans moi, ils avaient changé la fin imaginée au départ, et presque toutes mes idées avaient disparu.

Ils avaient même changé le titre.



Ça faisait longtemps que je rêvais à toi

oh oui, tu le sais, maintenant

toi aussi

oui

oh

oh yeah oh my

fucking

god

Hmm, j’au vuctu me regardais pas mal mon petit cul, pendant qu’on roulait

Sweet fucking tight ass, baby

Ouais – aussi, moi j’ai vucta vraiment un pénis

énorme

ah

ooh mon

dieu mon dieu mon dieu

Aha - A…

oh, sur un cheval comme ça

Tu me cognes ce cul des hanches en me tenant par la taille

Est-ce qu’on va loin? On y va

Une petite clairière là-bas

J’en ai envie oh toi aussi

Roah

Quelle fabuleuse

J’ai une condition

Je veux que, quand tu vas jouir, je veuctu me fasse gicler ton sperme le plus creux qu’tu peux au milieu de mon ventre

Oui? oh oui

Pas une goutte va en ressortir

Mes fesses lovées au creux de tes hanches mes cuisses contre les tiennes et tes grands bras forts qui me tiennent, mes épaules contre ta poitrine tes mains qui me caressent, me prennent la tête, me pincent les seins

ah c’est fou mange moi

mords-moi dans le cou

Attends

Quand tu vas jouir, là,

Vas-y, je le sens

Je viens moi aussi

Tu déclenches mon orgasme en m’aspergeant

et le mouvement te pompe en te pétrissant de la racine au gland

qui gonfle

o my

c’est énorme

je le vois dans ma tête comme si les terminaisons nerveuses étaient reliées à ma vue

ah ah ça arrête pas de grossir et de pousser! o ouh

Tu me remplis tellement c’est ton sperme qui me traverse les organes et me sort en fontaine sur le ventre et dans l’herbe et jusque sur nos visages que je suce et lape en t’aspirant les lèvres



Papa…


Quoi!

Oui, oui…


Je suis là je t’ai jamais oublié je vais mal mais ça va aller c’est grâce à ton existence que j’ai survécu ai décidé de continuer toujours à me raccrocher

je serai toujours là


Je suis une bête peut-être avec du miel

Je suis un animal mal dompté

Tout le monde a soif

Tout le monde est affamé dans la peine tout le temps en train de se faire massacrer

Quel film est-ce qu’on va voir


Je vais me prostituer

tout le monde le fait

tout le monde se fait exécuter

oh oui

je suis un télégramme chantant

je suis un ladyboy parce que c’est plus payant

Dites-moi don’, déjà, s’il-vous-plaît, à quel rayon se trouvent les plaisirs qui ne s’achètent pas?

Je vais me faire mettre mettre mettre en popant des uppers jusqu’au matin communal de la vie, sans merci

je vais jouir en mourant, mourir en jouissant, m’égoutter gluant sanglant purulent croûté sur la tombe des pensées de ceux qui souffrent

en criant de jouissance

en hurlant

par pitié

et en tuant tuant!

Je n’y arriverai jamais

Ils sont au rayon des ruptures de stock.



Il y a une scène que je veux écrire depuis trois ou quatre ans, je ne sais plus si c'était à Noël 2005 ou 2006. Chez ma marraine et son mari, à La Plaine, nord-est de Montréal, entre campagne et banlieue, toute la famille du côté de mon père, sept frères et sœurs qui ont eu en tout seize enfants, et il y a des chums et des blondes, bref un joyeux grouillement. Il y avait aussi Madeleine, une cousine de mon père avec une histoire longue de même: elle et son frère promenés de famille d'accueil en famille d'accueil depuis la petite enfance, négligence et abus sexuels, et après, le labyrinthe classique, drogue drogue drink drink, où est la maudite sortie sur ce plateau débile? Je me retrouve assis à côté d'elle à table.


Toi, tu te souviens peut-être pas, mais quand t'étais bébé, t'avais même pas un an, je t'ai pris dans mes bras, moi; je t'ai vu grandir...


Elle fait vingt ans de plus que son âge si on regarde vite; un bon vingt de moins à travers son regard, seulement l'expérience en plus. Elle s'en est sortie. S'est beaucoup occupée de ma grand-mère avec mon père, ma marraine et les autres sœurs de mon père. C'est pittoresque, on a chacun parrain et marraine chez nousje suis d'ailleurs parrain du premier fils de ma marraine… Elle est calme et vive à la fois, dégage une force tranquille qui part du cœur; la qualité de sa présence est spéciale: elle est de ces personnes devant lesquelles, pourvu qu'on soit sensible, on sait tout de suite, comme d'instinct, qu'on ne peut ni habiller ni maquiller ni omettre ni nier la moindre vérité sans qu'elles le sentent à coup sûr. Moi, comme toujours aux Fêtes, temps de l'année où je constate le mieux que je suis malheureux, je filais un mauvais poil de chien mouillé alors je m'étais prescrit un six-pack de Mauditei.e. bière brune foncée à 8 % alc/volquestion de sourire un peu, ne rien sentir un peu et m'endormir un peu, dans l'ordre et sans trop traîner. Je buvais la troisième en faisant descendre dinde et petits pois, la bouteille aux couleurs d'enfer avec dorures faisait presque l'effet d'une arme à feu qui aurait traîné là, saisissante au milieu des gobelets de 7-Up, des petites coupes de vin blanc et des quelques Labatt 50 ou Bleue. J'étais vaguement désolé d'être si désolant. Et là quand Madeleine a profité de ma proximité, physique du moins, pour me demander de mes nouvelles, tout naturellement j'ai dit que ça allait pas pire et me suis mis à faire un rapport informel et sympathique de la progression de mes études. Elle, parfaitement sobre avec sa tisane, m'a doucement interrompu, on a échangé quelques phrases, c'est là qu'elle m'a parlé qu'elle m'avait vu grandir, en fait elle a commencé par marquer du désintérêt de mon blabla stérile au sujet de l'université et de la carrière, puis elle ma dit, et c'est la chute de ma scène:


Toi, ton problème, c'est que tu penses trop avec ta têteça tourne, là-dedans!et pas assez avec ton cœur. T'es tout réfugié dans ta tête pendant que ton cœur demande rien qu'à être laissé libre de s'exprimer.

Je t'ai vu grandir; t'as une lumière, là, dans ton cœur, que, je te le dis, crois-moi pas si tu veux pas mais je sais de quoi je parle, le jour où tu vas l'accepter, la soutenir et t'en servir, ça sera pas croyable, tu vas rayonner, tu vas éclater de lumière.


Après ça je me suis éloigné au ralenti et n'ai pu retenir quelques larmes dans un coin, avant d'en finir avec le reste de la bière. Le slogan d'Unibroue, ça n’avait jamais marché avec moi. « Boire mieux », d'accord, mais « boire moins », attends une minute.



Est-ce que ça se pourrait que ça soit du « sabotage »? Est-ce que tu sais ce que je veux dire par là?

Oui. Mais, non, c’est pas du sabotage.

Bon.


Écoute, j’suis, vraiment, désolée, mais on n’a pas le choix, c’est le règlement. D’habitude, c’est l’expulsion automatique, mais là on te donne jusqu’à demain matin neuf heures. On est super reconnaissants que tu nous l’aies dit, sans ça on s’en serait jamais aperçu, c’est vrai, et pour ça, si tu veux revenir, t’as encore la possibilité, tu peux faire une nouvelle demande. P’is j’espère

que tu vas demander de l’aide, Stéphane, parce que t’as

besoin d’aide. Hmm?



Carlson est arrivé à mon party de fête déjà pas mal soûl, avec des bouteilles de boissons de dépanneur de toutes les sortes dans son sac, et la première chose qu’il a tenu à faire, en arrivant dans la cour en titubant légèrement, pour la forme, après avoir salué tout le monde en un seul cri valable pour l’ensemble, ça a été de me faire boire d’une traite deux petits flacons d’une liqueur presque fluorescente, à onze pourcent d’alcool, un produit que je connaissais déjà assez bien par ailleurs. J’ai refusé, j’en au bu tranquillement mais il a insisté, et pour lui faire plaisir j’ai éclipsé le fond du premier d’une seule gorgée et le malaise était bien installé. À ce moment-là, il faisait encore clair, le soleil d’été brillait, bas, entre les branches, Marie-Ève était gênée, assise à la table de jardin avec mes amis de l’université qui avaient fait le petit voyage jusqu’à Longueuil pour moi, et le malaise allait rester et s’intensifier jusqu’à la pénible fin, que j’ai moi-même en bonne partie préféré oublier.

À mesure que le ciel s’est assombri, que la lune, presque pleine, est sortie, j’ai senti que la confrontation finale se tramait, et cette impression croissait en proportion inverse du souvenir que c’était moi, ce soir-là, supposément, qu’on fêtait.


Je suis sorti dans la rue en face avec Carlson, marcher, essayer de changer d’air, de détendre l’atmosphère, loin des bruits, dans la nuit tranquille sous les étoiles affaiblies.

Je me souvenais de Carlson qui me disait


T’as un problème à partir du moment où tu l’admets, Calixte. Pas avant.


Je ne me rappelle plus la teneur exacte de ce qu’il m’a proposé, là dehors, oubliant complètement que c’était mon party qu’il ruinait, et feignant d’ignorer, ou voulant ne pas croire, que sa dernière chance, quant à moi, avait déjà été accordée, tout récemment; comme d’habitude, et même si je ne pouvais pas douter de la quantité astronomique d’alcool qu’il avait effectivement absorbée, son état réel d’éveil et d’ébriété m’était impossible à correctement évaluer.


Et pendant qu’il me jaugeait, de proche, le regard agrandi, sans ciller, j’ai dit non.


Il a insisté, déjà battu, pour la forme, battant en retraite, et j’ai répété non, et il a fait mine, mais seulement mine, de me menacer. Enfin.


J’ai vu dans ses yeux qu’il voyait dans mes yeux que j’allais le tuer si jamais, si nécessaire.


Et que je savais qu’il se laisserait faire en riant, comme un maître des ténèbres voit son disciple prêt à lui succéder, dans ses histoires préférées.


Non, si je l’achève il gagne. Pour vraiment l’anéantir je n’ai qu’à m’éloigner de lui à tout jamais, sans retour.


Il ne sourit plus.


Il vivra vieux.




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